Hypnoses :
Hypnoses est un cycle pour voix et orchestre symphonique interprété par Caroline Casadesus. Première réalisation de l'oeuvre symphonique de Didier Lockwood, ce disque a été enregistré à Omsk (Sibérie) sous la direction du chef d'orchestre Evegeny Shestakov.
"Digne héritier des grands musiciens français du 20ème siècle, Didier Lockwood sera j'en suis convaincue, l'un des compositeurs majeurs du 21ème siècle. Ses mélodies, sensibles et puissantes, impressionnistes et descriptives, aux harmonies résolument modernes mais toujours mélodiques servent des textes sublimes de René Char, Louis Aragon, Georges Perec, ainsi que des poèmes originaux du jazzman, qui ne cesse de nous surprendre par une créativité d'une stupéfiante richesse."
Ce cycle explore les tourments amoureux d'une femme, ses rêves, ses désirs, ses attentes, ses déceptions...
Chanter ce répertoire intense, infiniment humain, à la fois romantique et sensuel, lyrique et expressionniste, autorise une expression vocale nouvelle entre intimisme et vérisme.
L'Alchimie de l'Amour
La célébration de la Femme et l'exaltation de l'Amour ont fait depuis les origines, les plus belles heures de la poésie et de la musique.
Didier Lockwood vient apporter à ce florilège innombrable un tribut particulièrement inspiré et qui en surprendra beaucoup. Quoiqu'on sache en effet de la diversité et de la richesse de ses talents, qu'il exprime depuis plus de trente ans dans une fréquentation universelle de la musique, toutes barrières abolies, on sera surpris et ébloui par la personnalité du poème symbolique qu'il nous livre.
Cette oeuvre ne s'identifie à rien qu'on ait jamais entendu, comme si toutes les influences qu'on y perçoit, classiques et modernes, de Richard Strauss au jazz, toutes les références qu'elle évoque, les plus respectueuses comme les plus audacieuses, étant déjà loin derrière lui, assimilées, intégrées, pour que soit donnée naissance à un style propre, original et libre. On connaissait la capacité de Lockwood à se mettre en danger et à se renouveler. Elle se révèle à nouveau aujourd'hui, mais dans une forme absolue.
Si l'on parle d'absolu, ce n'est pas gratuitement. Le mot vient en effet à l'esprit dès qu'on a entendu les premiers chants du poème. Absolu non seulement parce que cette oeuvre comme on vient de le dire, existe indépendamment de tout rapport avec autre chose. Mais absolu aussi en ce que la parole et la musique y sont étroitement confondues, l'une et l'autre semblant puiser aux mêmes sources et répondre à une même élévation.
Cette symbiose est d'autant plus remarquable que l'ambition du poème est haute. Elle n'est pas seulement en effet de chanter l'amour, mais de tenter de l'inscrire dans l'éternité.
L'obsession du temps est présente dans la plupart des chants, qui, à mesure qu'ils se succèdent, s'évadent de l'éphémère et du terrestre pour atteindre à ces zones où seule conduit la poésie, et qui frôlent l'immatériel.
Il y a dans cette oeuvre des intonations abstraites, virtuelles, qui évoquent les mystères du rêve.
Le titre "Hypnoses" s'imposait. Le mot renvoie à l'ineffable. Il suggère une aspiration vers l'infini.
La sonorité symphonique de la partition et la sensualité des textes nous ramènent toutefois à une émotion bien charnelle. L'oeuvre est d'abord poème d'amour, elle puise dans l'amour de ses forces, elle est inondée d'amour. Et l'on sait qu'elle est aussi un acte d'amour, puisqu'elle incarne la belle aventure qui depuis dix ans unit Didier Lockwood à Caroline Casadesus, et qui n'appartient pas au domaine des idées !
Il est difficile d'abstraire ce chant d'amour de l'histoire personnelle et commune des deux artistes, et pourquoi le ferait-on ?
Au contraire, la vie vécue ajoute une valeur inestimable à l'art, lorsque celui-ci et celle-là se rejoignent. Dans ses mémoires récemment parues (Profession jazzman, Hachette littératures, Ed.), Didier Lockwood raconte comment, lorsqu'il la rencontra, il fut hypnotisé par Caroline Casadesus. Dès l'origine l'hypnose !
C'était lors du tournage d'une émission pour Arte. Elle chantait Schumann et Poulenc. L'éblouissement.
"Bien que physiquement très fine, écrit-il, elle avait la couleur chaude d'un violoncelle (...) le studio entier était suspendu au souffle de sa voix (...) cette fille était la foudre même."
La foudre en effet, dont Caroline a à la fois l'énergie et l'éclat. Une énergie de nature, l'énergie des éléments, celle du feu dont elle a la couleur et l'ardeur. L'énergie de l'animal dont elle a l'instinct et l'élégance. Quant à l'éclat, qui inonde son visage de lumière, c'est de l'âme qu'il vient, car comment expliquer le sortilège de sa voix ?
La voix de Caroline Casadesus est de celles qui semblent échapper aux lois de la mécanique. On la dirait rebelle à la raison, à la fabrication, à l'ordre. Elle vit par elle-même, affranchie de tout ce qui pourrait menacer sa liberté. Le travail vient par surcroît, parce qu'il le faut, mais on est tenté d'identifier la vraie nature de Caroline à la vie sauvage, la vie des origines. La Femme première. Hypnoses lui offre le champ privilégié où elle peut exprimer cette absolue liberté.
Elle y livre sa totale vérité, puissance et tendresse, force et douceur, présence et distance.
Profonde dans les graves, pure dans l'aigu, sa voix va du plus proche au plus lointain avec une aisance et une grâce extrême.
Elle est comme une courbe qui lierait la chair du réel au mystère du rêve. Elle était faite pour cette musique et cette poésie, et cette poésie et cette musique étaient faites pour elle.
Le secret de l'alchimie, c'est l'Amour.
Philippe TESSON
